Poésie : La lampe du poète

Titre : La lampe du poète

Poète : Alphonse Esquiros (1812-1876)

Recueil : Les hirondelles (1834).

La lampe du poète agonisait dans l'ombre ;
Des rapides printemps il voyait fuir le nombre ;
La faim, de son toit pauvre, écartait les amours ;
Sa cruche se vidait, et couché sur la paille :
« Il faut donc, disait-il, il faut que je m'en aille,
Avec le dernier des beaux jours !

Mêlant les ris, l’amour, l’espérance féale,
J'enflais à mon aurore une bulle idéale ;
Papillon, je cherchais mon lit dans une fleur ;
Un sylphe me berçait sur son aile bénie ;
Comme un lys en parfum, mon âme en harmonie
S'évaporait, loin du malheur.

Mais, fleur, j'ai vu sécher ma goutte de rosée ;
Au souffle des humains ma bulle s'est brisée ;
Une abeille a sucé mon calice argenté ;
Papillon, j'ai brûlé mes ailes à la gloire ;
Et mon sylphe a froissé sa ceinture de moire,
Aux ronces de la pauvreté.

Le sort n'a-t-il donc pas de plus superbe tête,
Pour secouer dessus l'éclair et la tempête ?
Ô pourquoi m'empêcher de finir ma chanson !
Si je ne t'ai rien fait, si mes jeux sont sincères,
Pourquoi, vautour cruel, poursuivre de tes serres
Petit oiseau sous le buisson !

Je demandais si peu dans ma courte veillée,
Un peu d'azur, d'émail, d'ombre sous la feuillée !
Dans un bouton fleuri mon printemps s'écoulait ;
Mon vol sur l'océan n'a pas cherché l'orage,
Mais chétive éphémère, hélas ! J’ai fait naufrage,
Au fond d'une goutte de lait.

Le malheur m'étreignit de ses serres puissantes ;
J'ai dévoré longtemps des larmes bien cuisantes ;
Mais mon cœur, aux mortels ne s'est pas révélé.
Qu'ils ne s'arrêtent pas devant mes douleurs vaines ;
Il faudrait tant souffrir pour comprendre mes peines
Que je crains d'être consolé !

Je cherche seulement un calice de rose
Où mon aile froissée, en tombant se repose ;
Et quand le jour viendra de m'envoler aux cieux,
Je voudrais, Chrysalide au corsage d'ivoire,
M'ensevelir moi-même en un rayon de gloire
Comme elle en un tombeau soyeux ! »

Lorsque l'on vint ouvrir la porte du poète,
Dans ses doigts languissait une lyre muette ;
Un souffle avait flétri sa couronne de fleurs,
Et comme un fruit tombé de son écorce verte,
On voyait commencé sur sa lèvre entrouverte
Un son qu'il achevait ailleurs.

Alphonse Esquiros.