Poésie : La chambre de la châtelaine

Titre : La chambre de la châtelaine

Poète : Amable Tastu (1798-1885)

Recueil : Poésies (1826).

« Délivrez-moi de ma lourde parure ;
Ces longs habits, cette riche coiffure,
Doublent encore la fatigue du soir.
L'heure s'avance, et déjà du manoir
Les murs épais sont enveloppés d'ombre.
Seuls, du soldat veillant dans la nuit sombre,
Les pas égaux font retentir les tours ;
Hâtez-vous donc, prêtez-moi vos secours !
Je veux ce soir, pour prix de votre zèle,
Vous proposer une énigme nouvelle.
Far toi, Loïse, un désir est rempli
A peine éclos ; et d'un trop long oubli
Je dois venger ta muette tendresse :
Ce carcan d'or qui parait ta maîtresse,
Aimable fille, est désormais à toi ;
Garde toujours ce souvenir de moi.
Et vous, merci ; car vos mains, damoiselles,
Plus que jamais sont promptes et fidèles. »
La dame alors s'approcha de son lit,
Sous son beau corps l'épais duvet fléchit ;
Sur les coussins laissant tomber sa tête :
« Écoutez-moi, dit-elle, je suis prête ;
Or, qui saura me dire, d'entre vous,
Quand le sommeil nous arrive plus doux ?
Parlez !... — Pour moi, dit Blanche avec mystère,
Je m'endors mieux, je ne puis vous le taire,
Quand une vieille, assise à mon foyer,
Me fait tout bas des contes de sorcier,
Ou me redit l'histoire véridique
Du moine blanc qu'au monastère antique,
Près des tombeaux on voit errer le soir ;
Et je tressaille, et crois aussi le voir.
Le sommeil vient, et l'erreur se prolonge ;
Ou m'arrachant au vain effroi d'un songe,
Je veille alors le rosaire à la main.
Si mon brasier se ranime soudain,
A ses lueurs inégales et rares
Mon œil poursuit mille formes bizarres
Qui semblent fuir, glisser le long des murs,
Et s'élever jusqu'aux plafonds obscurs.
— La peur est-elle un plaisir ? » dit Germonde
En secouant sa jeune tête blonde ;
« Moi j'aime mieux, le front sur l'oreiller,
Ouïr comment un jeune chevalier
Est rencontré de quelque blanche fée ;
Par les périls sa valeur échauffée
Doit triompher d'un noir enchantement,
Et sous ses coups tombent en un moment
Cent paladins et les géants eux-mêmes ;
Et c'est alors que la beauté qu'il aime
S'unit à lui par le plus doux lien :
Que peut de plus un chevalier chrétien
Que d'exposer, pour l'amour de sa dame,
Le bien du corps et le salut de l'âme ?
— Moi, s'écria la vive Aliénor,
Si le sommeil jamais d'un doux essor
Sur mon chevet vient incliner ma tête,
C'est au sortir d'une brillante fête ;
A pas légers des couples gracieux
Semblent encore se mouvoir à mes yeux,
Et leur offrir cet éclat qui les flatte,
Les joyaux d'or, les mantels d'écarlate ;
Aux sons égaux des joyeux instruments
J'épie encore les signes des amants,
Et cet écho des plaisirs de la veille
Me fait sourire alors que je sommeille.
Et vous, Loïse ? — Oh ! moi, je dors, je crois,
Dès que j'ai fait le signe de la croix :
Pour qu'un plaisir au repos nous invite,
Il faut l'attendre, et le mien vient si vite !... »
La noble dame avec un doux souris :
« Nulle de vous n'a su ravir le prix.
Celle-là dort plus doucement bercée,
Qu'attend au lit quelque tendre pensée,
Et qui, fuyant la contrainte du jour,
Y va rêver à son premier amour.
Premier !... dernier !... ah ! quel est mon délire !
Son seul amour, aurais-je dû vous dire !
Allez en paix !... ma Loïse, c'est toi
Qui veilleras ce soir auprès de moi.
Et maintenant, bonne nuit, damoiselles !
— Dame, salut ! » ensemble dirent-elles ;
Et sans retard, le cortège attentif
S'éloigne alors d'un pas lent et furtif.
Leur soin discret clôt la porte fidèle,
Et le rideau qui retombe sur elle,
Rasant le seuil avec un léger bruit,
Semble à son tour murmurer : Bonne nuit !
— Toi, viens, enfant ; viens, et me fais entendre
Quelque vieux chant mélancolique et tendre.
N'en sais-tu pas qui soit triste à la fois
Comme mon cœur, et doux comme ta voix ?
Dont l'harmonie, ou rêveuse ou plaintive,
Charme si bien mon oreille attentive,
Que du sommeil le vol silencieux
A mon insu puisse effleurer mes yeux ? »
La jouvencelle, à sa dame soumise,
Du riche étui, dont l'éclat le déguise,
Tire soudain le luth aux doux accords.
L'heure est propice ; au-dedans, au-dehors,
Rien n'interrompt le nocturne silence.
La Châtelaine, en sa molle indolence,
De ses pensers suivait le cours changeant
Et se taisait. Dans la lampe d'argent
Qui se balance à la haute solive,
Se consumait le doux jus de l'olive ;
De ses contours, ciselés avec art,
Quelques rayons échappés au hasard,
Vont effleurer le lit où se déploie
L'azur mouvant des courtines de soie ;
Ses longs tapis où, d'un épais velours,
La blanche hermine enrichit les contours,
Du dais massif les angles où se cache
L'or du cimier sous l'ombre du panache,
Et la splendeur des pilastres dorés
Qui de l'estrade entourent les degrés.
D'un champ de soie où l'argent se marie,
Le bleu tissu de la tapisserie,
A pans égaux voilait le mur grossier.
L'œil admirait, près du vaste foyer,
Du prié-dieu l'élégante structure ;
Là, le missel qu'enrichit la peinture
Repose ouvert, et de toutes les fleurs
Son blanc vélin réfléchit les couleurs,
Et le feu clair qui pétille dans l'âtre
Du bénitier semble rougir l'albâtre.
Pour les parfums les vases préparés
Brûlaient encore, et de leurs flancs dores
Ils unissaient les vapeurs embaumées
Au doux tribut de ces eaux parfumées,
Luxe odorant avec soin épanché
Sur les rameaux dont le sol est jonché.
De ce moment secondant le délice,
L'astre des nuits, voluptueux complice,
Glissant alors à travers les vitraux,
Vint ranimer leurs transparents émaux,
Et colorant le pavé de la chambre
Y refléter l'azur, le pourpre et l'ambre.
Quel œil mortel résiste à ses douceurs,
Quand le sommeil compte pour précurseurs
De doux parfums, des clartés fugitives,
Des mots flatteurs et des notes plaintives ?
Loïse enfin, d'un air timide et doux,
Saisit le luth posé sur ses genoux,
En raffermit la corde détendue,
Des tons divers parcourut l'étendue,
Dans chacun d'eux préludant tour à tour ;
Puis murmura le chant qu'un troubadour,
Pour mieux bercer la beauté qui sommeille,
A sa mémoire a confié la veille.

CHANT.

Dormez, noble dame, dormez !
Les murs gardés font les nuits sans alarmes ;
Laissez veiller vos hardis hommes d'armes,
Et ceux que vos yeux ont charmés.

Ah ! si le comte de Montfort,
Le champion de l'Église de France,
De ses bannerets le plus fort ;
De nos preux la meilleure lance,
Contre ce châtel, quelques jours,
Guidait ses archers intrépides,
Le vol de leurs flèches rapides
Ne saurait effleurer ces tours.

Dormez, noble dame, dormez !
Les murs gardés font les nuits sans alarmes ;
Laissez veiller vos hardis hommes d'armes,
Et ceux que vos yeux ont charmés.

Cinq cents chevaliers valeureux
Font circuler la coupe dans vos salles,
Vos vassaux dix fois plus nombreux
Secondent leurs armes loyales ;
Qui pourrait contre leurs désirs
Troubler les songes de leur belle,
Hors la cloche de la chapelle
Ou le doux bruit de leurs soupirs ?

Dormez, noble dame, dormez !
Les murs gardés font les nuits sans alarmes ;
Laissez veiller vos hardis hommes d'armes,
Et ceux que vos yeux ont charmés. »

Loïse alors se tut, et sa maîtresse
Avec effort soulevant sa paresse,
D'un bras de neige entrouvrit ses rideaux,
Et soupira : « Malgré ces forts créneaux,
Ces bons archers, ces nombreux hommes d'armes
Et les vaillants dévoués à mes charmes,
Un ennemi s'est glissé jusqu'à moi !
— Dieu ! s'écria Loïse avec effroi,
Quel est son nom ?... » Et respirant à peine
Elle écoutait ; mais de la Châtelaine
Un doux sommeil avait fermé les yeux,
Et du rideau quittant les plis soyeux
Sa blanche main retomba sur la couche.
Pourtant Loïse, au souffle que sa bouche
En sons confus exhalait tour à tour,
Prêta l'oreille, et crut entendre : AMOUR.

Amable Tastu.