Poésie : Les clochettes

Titre : Les clochettes

Poète : Nérée Beauchemin (1850-1931)

Le carillon multicolore
Des clochettes au timbre clair
Tinte, étincelle, tinte encore
Et tintinnabule dans l'air.

C'est plaisir, quand la neige crie,
D'ouïr, mêlée au bruit banal
Du vent, l'allègre sonnerie
Du joyeux solstice hivernal.

Aux heures de la promenade,
Sur les places, de trois à cinq,
De l'esplanade à l'esplanade,
Du skating rink au skating rink.

Dans la brume aux teintes de cuivre
Où par un radieux ciel bleu,
Volent avec les fleurs du givre
Les vibrantes notes de feu.

Rapides traîneaux de Norvège,
Tout capitonnés et fleuris ;
Karrioles à triple siège,
Aux ondoyantes peaux d'ours gris ;

Sleighs bleus, sleighs verts, dont l'acier lisse,
Traçant un zigzaguant sillon,
Par les chemins irisés, glisse
Dans un vaporeux tourbillon.

En double file, sur la neige,
Secouant pompons et clinquants,
Se croisent – triomphal cortège –
Aux éclats des grands fouets claquants.

Au col du poney qui trottine,
Au poitrail des grands chevaux lourds,
Clochettes à voix argentine,
Gros grelots de bronze aux sons sourds.

Tintent et vannent à merveille.
Par les soirs et par les matins,
Vibre une gamme sans pareille
De dings dings dings et de tins-tins.

Il fait un froid de Sibérie.
Nargue du froid ! Vive l'hiver !
Vive l'électrique féerie
De ses kremlins de cristal vert !

Oh ! vive la belle gelée !
Oh ! le bel Hiver, c'est pour nous
Qu'il pique à sa tempe étoilée
Les fleurs toutes rouges du houx !

Ô gais cortèges, faites place !
Du haut des neigeux Labrador,
Hiver descent ; son char de glace
File au trot du renne aux fers d'or.

Salut, roi de l'Ourse, qui passes
Parmi les étincellements
Qu'à travers le bleu des espaces
Éparpillent tes diamants.

Drapons-nous de pourpre et d'hermine !
Sonnons l'olifant et le cor !
Que toute la ville illumine !
Que la fusée éclate encor !

Que tout chante ! – Adossée à l'angle
D'un mur, une enfant aux yeux creux,
D'une voix que la bise étrangle,
Demande l'aumône aux heureux.

Devant ce haillon que flagelle
Le fouet des aquilons stridents,
Sans voir le pauvre être qui gèle
Et sanglote et claque des dents,

On passe. Le rire sonore
Des clochettes de nickel clair
Tinte, ironique, tinte encore
Et tintinnabule dans l'air.

Mais l'enfant que ce bruit harcèle
Aimerait mieux, mille fois mieux,
Ouïr tinter dans l'escarcelle
Le carillon des sous joyeux.

Hiver, que tes grelots de fête
N'attristent pas les indigents ;
Et vous, riches, faites la quête
Pour la Noël des pauvres gens.

Dans son étable qu'enténèbre
Le froid noir de la pauvreté,
Que le pauvre à son tour célèbre
La joyeuse Nativité.

Nérée Beauchemin.