Poésie : À la mémoire de Zulma

Titre : À la mémoire de Zulma

Poète : Tristan Corbière (1845-1875)

Bougival, 8 mai.

Elle était riche de vingt ans,
Moi j'étais jeune de vingt francs,
Et nous fîmes bourse commune,
Placée, à fonds perdu, dans une
Infidèle nuit de printemps...

La lune a fait [un] trou dedans,
Rond comme un écu de cinq francs,
Par où passa notre fortune :
Vingt ans ! vingt francs !... et puis la lune !

– En monnaie – hélas – les vingt francs !
En monnaie aussi les vingt ans !
Toujours de trous en trous de lune,
Et de bourse en bourse commune...
– C'est à peu près même fortune !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

– Je la trouvai – bien des printemps,
Bien des vingt ans, bien des vingt francs,
Bien des trous et bien de la lune
Après – Toujours vierge et vingt ans,
Et... colonelle à la Commune !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

– Puis après : la chasse aux passants,
Aux vingt sols, et plus aux vingt francs...
Puis après : la fosse commune,
Nuit gratuite sans trou de lune.

Saint-Cloud. – Novembre.

Tristan Corbière.