Poésie : Le renégat

Titre : Le renégat

Poète : Tristan Corbière (1845-1875)

Ça c'est un renégat. Contumace partout :
Pour ne rien faire, ça fait tout.
Écumé de partout et d'ailleurs ; crâne et lâche,
Écumeur amphibie, à la course, à la tâche ;
Esclave, flibustier, nègre, blanc, ou soldat,
Bravo : fait tout ce qui concerne tout état ;
Singe, limier de femme... ou même, au besoin, femme ;
Prophète in partibus, à tant par kilo d'âme ;
Pendu, bourreau, poison, flûtiste, médecin,
Eunuque ; ou mendiant, un coutelas en main...

La mort le connaît bien, mais n'en a plus envie...
Recraché par la mort, recraché par la vie,
Ça mange de l'humain, de l'or, de l'excrément,
Du plomb, de l'ambroisie... ou rien – Ce que ça sent. –

– Son nom ? – Il a changé de peau, comme chemise...
Dans toutes langues c'est : Ignace ou Cydalyse,
Todos los santos... Mais il ne porte plus ça ;
Il a bien effacé son T. F. de forçat !...

– Qui l'a poussé... l'amour ? – Il a jeté sa gourme !
Il a tout violé : potence et garde-chiourme.
– La haine ? – Non. – Le vol ? – Il a refusé mieux.
– Coup de barre du vice ? – Il n'est pas vicieux ;
Non... dans le ventre il a de la fille-de-joie,
C'est un tempérament... un artiste de proie.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Au diable même il n'a pas fait miséricorde.
– Hale encore ! – Il a tout pourri jusqu'à la corde,
Il a tué toute bête, éreinté tous les coups...

Pur, à force d'avoir purgé tous les dégoûts.

Baléares.

Tristan Corbière.