Poésie : Tu rangeais en chantant pour le repas du soir
Titre : Tu rangeais en chantant pour le repas du soir
Poète : Charles Guérin (1873-1907)
Tu rangeais en chantant pour le repas du soir 
Le pain blond, du laitage et le fruit de nos treilles, 
Autour d'un rayon d'or formé par les abeilles ; 
Et te voici qui viens tout près de moi t'asseoir.
Il a plu ; l'air mouillé répand une odeur verte, 
Le fifre d'un insecte invisible au plafond 
Alterne avec le bruit que les gouttes d'eau font 
Sur des feuilles au bord de la croisée ouverte.
Nous rêvons, accoudés sur la nappe, devant 
Les mets simples auxquels nul de nous deux ne touche. 
Nous nous taisons ; parfois tu poses sur ma bouche 
Ton bras nu qui frissonne au souffle frais du vent.
La fenêtre faisant un cadre au paysage 
Se peint avec les bois et l'horizon natal 
Sur les flancs ronds et purs d'un vase de cristal 
Dont le courbe miroir nous grossit le visage.
Là-bas, le ciel d'automne est rouge et soucieux. 
Ô doux et longs instants d'amour ! Le crépuscule 
Décolore déjà l'univers minuscule 
Qui diaprait l'azur de la buire et nos yeux.
Ton cœur frappe à la place où ma tête s'appuie, 
Nous écoutons les fruits tomber dans le jardin, 
Pensifs, et tressaillant ensemble quand, soudain, 
Le vent secoue un arbre encore chargé de pluie.
Alors, et bénissant le jour qui va finir, 
Comme deux voyageurs, d'un regard en arrière, 
Nous laissons dans l'ardeur d'une même prière 
Et nos mains et nos voix et nos âmes s'unir.