Poésie : Donc cette merveille des cieux
Titre : Donc cette merveille des cieux
Poète : François de Malherbe (1555-1628)
Pour Henri le Grand, sous le nom d'Alcandre,
au sujet de l'absence de la princesse de Condé,
sous le nom d'Oranthe.
1609.
Donc cette merveille des cieux,
Pour ce qu'elle est chère à mes yeux,
En sera toujours éloignée !
Et mon impatiente amour,
Par tant de larmes témoignée,
N'obtiendra jamais son retour !
Mes vœux donc ne servent de rien !
Les dieux, ennemis de mon bien,
Ne veulent plus que je la vois !
Et semble que les rechercher
De me permettre cette joie
Les invite à me l'empêcher !
Ô beauté, reine des beautés,
Seule de qui les volontés
Président à ma destinée,
Pourquoi n'est comme la Toison
Votre conquête abandonnée
À l'effort de quelque Jason ?
Quels feux, quels dragons, quels taureaux,
Quelle horreur de monstres nouveaux,
Et quelle puissance de charmes
Garderait que jusqu'aux enfers
Je n'allasse avecque mes armes
Rompre vos chaînes et vos fers ?
N'ai-je pas le cœur aussi haut,
Et pour oser tout ce qu'il faut
Un aussi grand désir de gloire,
Que j'avais lorsque je couvris
D'exploits d'éternelle mémoire
Les plaines d'Arques et d'Ivry ?
Mais quoi ! ces lois dont la rigueur
Retient mes souhaits en langueur
Règnent avec un tel empire,
Que, si le ciel ne les dissout,
Pour pouvoir ce que je désire,
Ce n'est rien que de pouvoir tout.
Je ne veux point, en me flattant,
Croire que le sort inconstant
De ces tempêtes me délivre ;
Quelque espoir qui se puisse offrir,
Il faut que je cesse de vivre,
Si je veux cesser de souffrir.
Arrière donc ces vains discours :
Qu'après les nuits viennent les jours,
Et le repos après l'orage.
Autre sorte de réconfort
Ne me satisfait le courage,
Que de me résoudre à la mort.
C'est là que de tout mon tourment
Se bornera le sentiment ;
Ma foi seule, aussi pure et belle
Comme le sujet en est beau,
Sera ma compagne éternelle,
Et me suivra dans le tombeau.
Ainsi d'une mourante voix
Alcandre, au silence des bois,
Témoignait ses vives atteintes ;
Et son visage sans couleur
Faisait connaître que ses plaintes
Etaient moindres que sa douleur.
Oranthe, qui par les zéphyrs
Reçut les funestes soupirs
D'une passion si fidèle,
Le cœur outré de même ennui,
Jura que, s'il mourait pour elle,
Elle mourrait avecque lui.