Poésie : Sur les vaines occupations des gens
Titre : Sur les vaines occupations des gens
Poète : Jean Racine (1639-1699)
Sur les vaines occupations des gens du siècle.
(Tiré des oeuvres d'Isaïe et de Jérémie.)
Quel charme vainqueur du monde 
Vers Dieu m'élève aujourd'hui ? 
Malheureux l'homme qui fonde 
Sur les hommes son appui ! 
Leur gloire fuit et s'efface 
En moins de temps que la trace 
Du vaisseau qui fend les mers, 
Ou de la flèche rapide 
Qui, loin de l'œil qui la guide, 
Cherche l'oiseau dans les airs.
De la sagesse immortelle 
La voix tonne et nous instruit. 
Enfants des hommes, dit-elle, 
De vos soins quel est le fruit 
Par quelle erreur, âmes vaines, 
Du plus pur sang de vos veines 
Achetez-vous si souvent, 
Non un pain qui vous repaisse, 
Mais une ombre qui vous laisse 
Plus affamés que devant ?
Le pain que je vous propose 
Sert aux anges d'aliment ; 
Dieu lui-même le compose 
De la fleur de son froment : 
C'est ce pain si délectable 
Que ne sert point à sa table 
Le monde que vous suivez. 
Je l'offre à qui me veut suivre. 
Approchez. Voulez-vous vivre ? 
Prenez, mangez, et vivez.
Ô Sagesse ! ta parole 
Fit éclore l'univers, 
Posa sur un double pôle 
La terre au milieu des airs. 
Tu dis ; et les cieux parurent, 
Et tous les astres coururent 
Dans leur ordre se placer. 
Avant les siècles tu règnes. 
Et qui suis-je, que tu daignes 
Jusqu'à moi te rabaisser ?
Le Verbe, image du Père, 
Laissa son trône éternel, 
Et d'une mortelle mère 
Voulut naître homme et mortel. 
Comme l'orgueil fut le crime 
Dont il naissait la victime, 
Il dépouilla sa splendeur, 
Et vint, pauvre et misérable, 
Apprendre à l'homme coupable 
Sa véritable grandeur.
L'âme, heureusement captive, 
Sous ton joug trouve la paix, 
Et s'abreuve d'une eau vive 
Qui ne s'épuise jamais. 
Chacun peut boire en cette onde ; 
Elle invite tout le monde : 
Mais nous courons follement 
Chercher des sources bourbeuses, 
Ou des citernes trompeuses 
D'où l'eau fuit à tout moment.