Poésie : L'imprudence
Titre : L'imprudence
Poète : Louise Colet (1810-1876)
Enfants, ne jouez pas si près de la rivière ;
Pour vous mirer dans l'eau n'inclinez pas vos fronts,
Votre pied imprudent peut glisser sur la pierre ;
Vous êtes tout petits et les flots sont profonds !
Mais vous n'écoutez pas ma voix qui vous appelle ;
Aux poissons effrayés vous lancez des cailloux,
Vous allez du pêcheur démarrer la nacelle,
Et, penchés sur les bords, vous l'attirez vers vous ;
Puis, livrant au courant un rameau qu'il entraîne,
Pour le ravoir encore vous accourez plus bas ;
Quand la main d'un géant pourrait l'atteindre à peine,
Vous voulez le saisir avec vos petits bras !
Venez vers moi ; venez, avant que je vous gronde ;
Enfants, de ces plaisirs je vous prive à regret :
Mais on ne revient pas au-dessus de cette onde,
Et si vous y tombiez votre mère en mourrait !...
A mes sages avis vous ne voulez pas croire ;
Venez, je vais vous dire une tragique histoire :
C'était dans le printemps, quand la terre verdit ;
Alors qu'abandonnant le foyer de famille,
Vous allez à l'abri de la verte charmille
Recommencer les jeux que l'hiver suspendit ;
Alors que le soleil apparaît sans nuage,
Qu'une neige de fleurs couvre les églantiers,
Que chaque arbre vous offre un nid à mettre en cage,
Et que des fruits vermeils brillent aux cerisiers.
Un matin, parcourant la campagne nouvelle,
Une mère jouait avec ses deux enfants ;
Mère comme la vôtre, aussi bonne, aussi belle,
Le bonheur se peignait dans ses yeux triomphants !
« Venez, mes chers petits, courons dans la prairie, »
Disait-elle en fuyant ; et, redoublant leurs pas,
Derrière elle accouraient Léopold et Marie,
Et leur mère riait en leur tendant les bras ;
Et tous deux s'y jetaient ; puis, s'élançant plus vite,
Ils voulaient à leur tour parvenir jusqu'au but ;
Le premier qui du champ atteignait la limite,
D'un baiser maternel recevait le tribut :
Jeux d'amour qu'avec vous fait encore votre mère ;
Doux ébats, ce jour-là, souvent recommencés !...
Le soleil mesura deux heures sur la terre
Avant que les enfants eussent dit : C'est assez !
Puis, le cœur haletant, sur la mousse ils s'assirent,
Ils cueillirent des fleurs sur les bords du chemin ;
Et, formant des bouquets qu'à leur mère ils offrirent,
Joyeux, ils s'écriaient : « Nous reviendrons demain !
— Oui, demain, mes amis, si vous êtes bien sages,
Sur le gazon fleuri vous reviendrez sauter ;
Maintenant la chaleur a mouillé vos visages,
Reposez-vous encore, c'est l'heure du goûter. »
Alors vous eussiez vu cette mère attentive
Donner à ses enfants des fruits et des gâteaux ;
Et tous deux bondissant, tant leur joie était vive,
Oublièrent soudain le besoin du repos :
« Vois-tu la belle fleur, là-bas, vers cette pierre ?
Dit Marie à son frère, en montrant un iris ;
Viens, courons, paresseux ; j'y serai la première,
Et maman d'un baiser m'accordera le prix. »
Léopold la suivit dans sa course légère :
Leur mère ne vit point où s'égaraient leurs pas ;
Tout entière aux pensers que le bonheur suggère,
Elle s'occupait d'eux... et ne les suivait pas ;
Sur le gazon assise, elle restait rêveuse ;
Dans le recueillement, elle baissait les yeux ;
Bientôt son jeune époux (oh ! qu'elle était heureuse)
De ses enfants aussi partagerait les jeux !
Il allait revenir après un long voyage ,
Il allait ressentir tout ce qu'elle éprouvait ;
Déjà de ses transports elle se peint l'image,
Et ses enfants fuyaient tandis qu'elle rêvait...
« J'ai la fleur, » dit Marie, et sa main triomphante
Agita dans les airs un iris arraché.
Vois-tu comme il est beau ! Maman sera contente,
N'est-ce pas ? Viens le voir... Mais tu parais fâché !
Viens, le vent du midi l'a couvert de poussière,
La chaleur a plié ses beaux panaches bleus ;
Viens, allons le baigner aux eaux de la rivière ;
Viens, ne sois plus jaloux, il sera pour nous deux.
J'ai bien soif ! Dans nos mains nous boirons l'eau limpide,
Il n'est point de dangers, ne sois pas si timide ;
Écoute, Léopold ! — Oh ! Non, répond l'enfant,
N'approche pas, ma sœur, maman nous le défend !
— Ne crains rien, dit Marie en détournant la tête,
Maman ne nous voit pas, maintenant elle dort ;
Viens voir comme dans l'eau ma robe se reflète !
Viens voir ces beaux poissons à la nageoire d'or ! »
Et la jeune étourdie, en se penchant sur l'onde,
Puisait l'eau dans ses mains, mouillait la fleur d'azur,
Dans les flots transparents mirait sa tête blonde,
Et sur la grève humide avançait d'un pas sûr.
Près d'elle, elle a cru voir un poisson qui frétille ;
Dans l'eau, pour le saisir, son bras s'est enfoncé ;
Tout à coup on entend la pauvre jeune fille
Pousser un cri d'effroi... son pied avait glissé !
Le torrent l'entraîna... Sa malheureuse mère
Accourut à sa voix : hélas ! C'était trop tard !...
Elle voulait mourir dans sa douleur amère,
Et sur les flots profonds fixait un œil hagard.
Dans sa triste demeure on l'emporta mourante ;
Léopold la suivait en appelant sa sœur,
Sa sœur, que rejeta la vague indifférente
Aux filets du pêcheur !
On recueillit son corps qu'avait souillé la lange ;
Son âme s'envola, sur les ailes d'un ange,
Vers le monde éternel, séjour délicieux ;
Mais, hélas ! Son bonheur n'y fut pas sans mélange :
Elle voyait sa mère et pleurait dans les cieux !
Elle la vit longtemps ici-bas, désolée,
Traîner ses tristes jours, puis descendre au cercueil :
Un prêtre la coucha dans un froid mausolée,
Et près de lui priait un orphelin en deuil.
Léopold n'avait plus ni sa sœur, ni sa mère ;
Le malheur le frappa dans ses jours les plus beaux ;
Et lorsqu'à son foyer revint son pauvre père,
Il le retrouva seul, seul... entre deux tombeaux !
Voyez que de douleurs attire l'imprudence !
Elle change en chagrins les plaisirs les plus doux.
Enfants, obéissez, pour que la Providence
Veille toujours sur vous.
Et maintenant, allez sauter sur la pelouse,
Évitez les dangers qui mènent aux malheurs ;
De vos charmes, enfants, la mort semble jalouse,
Comme l'aquilon l'est des fleurs !