Poésie : La voix
Titre : La voix
Poète : Maurice Rollinat (1846-1903)
Voix de surnaturelle amante ventriloque 
Qui toujours me pénètre en voulant m'effleurer ; 
Timbre mouillé qui charme autant qu'il interloque, 
Son bizarre d'un triste à vous faire pleurer ; 
Voix de surnaturelle amante ventriloque !
Dit par elle, mon nom devient une musique : 
C'est comme un tendre appel fait par un séraphin 
Qui m'aimerait d'amour et qui serait phtisique. 
Ô voix dont mon oreille intérieure a faim ! 
Dit par elle, mon nom devient une musique.
Très basse par instants, mais jamais enrouée ; 
Venant de dessous terre ou bien de l'horizon, 
Et quelquefois perçante à faire une trouée 
Dans le mur de la plus implacable prison ; 
Très basse par instants, mais jamais enrouée ;
Oh ! comme elle obéit à l'âme qui la guide ! 
Sourde, molle, éclatante et rauque, tour à tour ; 
Elle emprunte au ruisseau son murmure liquide 
Quand elle veut parler la langue de l'amour : 
Oh ! comme elle obéit à l'âme qui la guide !
Et puis elle a des sons de métal et de verre : 
Elle est violoncelle, alto, harpe, hautbois ; 
Elle semble sortir, fatidique ou sévère, 
D'une bouche de marbre ou d'un gosier de bois 
Et puis elle a des sons de métal et de verre.
Tu n'as jamais été l'instrument du mensonge ; 
Ô la reine des voix, tu ne m'as jamais nui ; 
Câline escarpolette où se berce le songe, 
Philtre mélodieux dont s'abreuve l'ennui, 
Tu n'as jamais été l'instrument du mensonge.
Tout mon être se met à vibrer, quand tu vibres, 
Et tes chuchotements les plus mystérieux 
Sont d'invisibles doigts qui chatouillent mes fibres ; 
Ô voix qui me rends chaste et si luxurieux, 
Tout mon être se met à vibrer, quand tu vibres !