Poésie : Tempête obscure
Titre : Tempête obscure
Poète : Maurice Rollinat (1846-1903)
L'orage, après de longs repos, 
Ce soir-là, par ses deux suppôts,
La nuée et le vent qui claque, 
Se présageait pour l'onde opaque.
Grondante sous le ciel muet, 
Par quintes, la mer se ruait ;
Puis, elle se tut, la perfide, 
Reprit son niveau brun livide.
Malheur aux coquilles de noix 
Alors sur l'élément sournois 
D'un plat, d'un silence de planche, 
Risquant leur petite aile blanche !
Car, on le sent à l'angoissé, 
Au guettant de l'air oppressé,
La paix du gouffre qui se fige 
Couve la trame du vertige ;
Si calme en dessus, ses dessous 
Cherchent, ramassent leurs courroux,
En effet, soudain l'eau tranquille 
Bomba sa face d'encre et d'huile,
Perdit son taciturne intact, 
Prit un clapotement compact.
Et voilà qu'à rumeurs funèbres 
La tempête emplit les ténèbres.
Mais, pas un éclair zigzaguant : 
Rien que l'obscur de l'ouragan !
Ballottée en ce ciel de bistre 
La lune folle, errant sinistre,
Comme une morte promenant 
Sa lanterne de revenant,
À hideuses lueurs moroses 
Éclairait ce drame des choses.
Souffle monstre, outrant sa fureur, 
Le vent démesurait l'horreur
Des montagnes d'eau dont les cimes 
Pivotaient, croulant en abîmes
Qui, l'un par l'autre chevauchés, 
Distordus, engloutis, crachés,
Redressaient leurs masses béantes 
En Himalayas tournoyantes,
Spectrales des froids rayons verts 
Se multipliant au travers.
Et, toujours, la houle élastique 
Réopérait plus frénétique
La métamorphose des flots 
Dans des tonnerres de sanglots.
Vint alors tant d'obscurité 
Que ce fracas précipité
N'était plus que la plainte immense, 
La clameur du vide en démence.
Puis, l'astre blêmissant, terni, 
Sombra dans le noir infini
Où son vert-de-gris jaune-soufre 
Se convulsait avec le gouffre.
Les vagues par leurs bonds si hauts 
Brassaient le ciel dans le chaos ;
Tout tourbillonnait : l'eau, la brume, 
La voûte, les airs et l'écume,
Tout : fond, sommet, milieu, côtés 
Dans le pêle-mêle emportés !
Tellement que la mer, les nues, 
Étaient par degrés devenues
Un même et confus océan 
Roulant tout seul dans le Néant.
Et, pour l'œil comme pour l'oreille, 
Existait l'affreuse merveille,
L'âme vivait l'illusion 
De cette énorme vision,
Tout l'être croyait au mensonge 
Du terrible tableau mouvant 
Qu'avec l'eau, la lune, et le vent, 
La Nuit composait pour le Songe.