Poésie : Ode
Titre : Ode
Poète : Pierre Corneille (1606-1684)
(Au Révérend Père Delidel de la Compagnie de 
Jésus, sur son traité de la Théologie des Saints.)
Toi qui nous apprends de la Grâce 
Quelle est la force et la douceur, 
Comme elle descend dans un cœur, 
Comme elle agit, comme elle passe, 
Docte Ecrivain, dont l'œil perçant, 
Va jusqu'au sein du Tout-puissant 
Pénétrer ce profond abîme, 
Que les hommes te vont devoir ! 
Et que le prix en est ineffable et sublime, 
De ces biens que par-là tu mets en leur pouvoir !
Oui, tant que durera ta course, 
Tu peux, mortel, à pleines mains ; 
Puiser des bonheurs souverains 
En cette inépuisable source. 
Un guide si bien éclairé, 
Te conduit d'un pas assuré 
Au vivant Soleil qui l'éclaire ; 
Suis, mais avec zèle, avec foi, 
Suis, dis-je, tu verras tout ce qu'il te faut faire, 
Et si tu ne le fais, il ne tiendra qu'à toi.
Tu pèches, mais un Dieu pardonne, 
Et pour mériter ce pardon, 
II te sait ce précieux don, 
II n'en est avare à personne. 
Reçois avec humilité, 
Conserve avec fidélité, 
Ce grand appui de ta faiblesse. 
Avec lui ton vouloir peut tout, 
Sans lui tu n'es qu'ordure, impuissance, bassesse, 
Fais-en un bon usage, et la gloire est au bout.
C'en est la digne récompense ; 
Mais aussi, tu le dois savoir, 
Cet usage est en ton pouvoir, 
II dépend de ta vigilance : 
Tu peux t'endormir, t'arrêter, 
Tu peux même le rejeter 
Ce don, sans qui ta perte est sûre, 
Et n'en tireras aucun fruit, 
Si tu défères plus aux sens, à la nature ; 
Qu'aux mouvement sacrés qu'en ton âme il produit.
J'en connaît par toi l'efficace, 
Savant et pieux Ecrivain, 
Qui jadis de ta propre main 
M'as élevé sur le Parnasse ; 
C'était trop peu pour ta bonté 
Que ma jeunesse eût profité 
Des leçons que tu m'as données ;  
Tu portes plus loin ton amour, 
Et tu veux qu'aujourd'hui mes dernières années 
De tes instructions profitent à leur tour.
 Je suis ton disciple, et peut-être 
Que l'heureux éclat de mes vers 
Éblouit assez l'univers, 
Pour faire peu de honte au Maître. 
Par une plus sainte leçon 
Tu m'apprends de quelle façon 
Au vice on doit faire la guerre. 
Puissé-je en user encore mieux, 
Et comme je te dois ma gloire sur la terre ! 
Puissé-je te devoir un jour celle des cieux !