Poésie : Haine du pauvre
Titre : Haine du pauvre
Poète : Stéphane Mallarmé (1842-1898)
Ta guenille nocturne étalant par ses trous
Les rousseurs de tes poils et de ta peau, je l'aime
Vieux spectre, et c'est pourquoi je te jette vingt sous.
Ton front servile et bas n'a pas la fierté blême :
Tu comprends que le pauvre est le frère du chien
Et ne vas pas drapant ta lésine en poème.
Comme un chacal sortant de sa pierre, ô chrétien
Tu rampes à plat ventre après qui te bafoue.
Vieux, combien par grimace ? et par larme, combien ?
Mets à nu ta vieillesse et que la gueuse joue,
Lèche, et de mes vingt sous chatouille la vertu.
À bas !... — les deux genoux !... — la barbe dans la boue !
Que veut cette médaille idiote, ris-tu ?
L'argent brille, le cuivre un jour se vert-de-grise,
Et je suis peu dévot et je suis fort têtu,
Choisis. — Jetée ? alors, voici ma pièce prise.
Serre-la dans tes doigts et pense que tu l'as
Parce que j'en tiens trop, ou par simple méprise.
— C'est le prix, si tu n'as pas peur, d'un coutelas.