Poésie : Rondalla
Titre : Rondalla
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Enfant aux airs d'impératrice, 
Colombe aux regards de faucon, 
Tu me hais, mais c'est mon caprice, 
De me planter sous ton balcon.
Là, je veux, le pied sur la borne, 
Pinçant les nerfs, tapant le bois, 
Faire luire à ton carreau morne 
Ta lampe et ton front à la fois.
Je défends à toute guitare 
De bourdonner aux alentours. 
Ta rue est à moi : - je la barre 
Pour y chanter seul mes amours,
Et je coupe les deux oreilles 
Au premier racleur de jambon 
Qui devant la chambre où tu veilles 
Braille un couplet mauvais ou bon.
Dans sa gaine mon couteau bouge ; 
Allons, qui veut de l'incarnat ? 
A son jabot qui veut du rouge 
Pour faire un bouton de grenat ?
Le sang dans les veines s'ennuie, 
Car il est fait pour se montrer ; 
Le temps est noir, gare la pluie ! 
Poltrons, hâtez-vous de rentrer.
Sortez, vaillants ! sortez, bravaches ! 
L'avant-bras couvert du manteau, 
Que sur vos faces de gavaches 
J'écrive des croix au couteau !
Qu'ils s'avancent ! seuls ou par bande, 
De pied ferme je les attends. 
A ta gloire il faut que je fende 
Les naseaux de ces capitans.
Au ruisseau qui gêne ta marche 
Et pourrait salir tes pieds blancs, 
Corps du Christ ! je veux faire une arche 
Avec les côtes des galants.
Pour te prouver combien je t'aime, 
Dis, je tuerai qui tu voudras : 
J'attaquerai Satan lui-même, 
Si pour linceul j'ai tes deux draps.
Porte sourde ! - Fenêtre aveugle ! 
Tu dois pourtant ouïr ma voix ; 
Comme un taureau blessé je beugle, 
Des chiens excitant les abois !
Au moins plante un clou dans ta porte : 
Un clou pour accrocher mon coeur. 
A quoi sert que je le remporte 
Fou de rage, mort de langueur ?