Poésie : Veder Napoli poi mori

Titre : Veder Napoli poi mori

Poète : Tristan Corbière (1845-1875)

Voir Naples et... – Fort bien, merci, j'en viens.
– Patrie
D'Anglais en vrai, mal peints sur fond bleu-perruquier !
Dans l'indigo l'artiste en tous genres oublie.
Ce Ne-m'oubliez-pas d'outremer : le douanier.

– Ô Corinne !... ils sont là déclamant sur ma malle...
Lasciate speranza, mes cigares dedans !
– Ô Mignon !... ils ont tout éclos mon linge sale
Pour le passer au bleu de l'éternel printemps !

Ils demandent la main... et moi je la leur serre !
Le portrait de ma Belle, avec morbidezza
Passe de mains en mains : l'inspecteur sanitaire
L'ausculte, et me sourit... trouvant que c'est bien ça !

Je venais pour chanter leur illustre guenille,
Et leur chantage a fait de moi-même un haillon !
Effeuillant mes faux-cols, l'un d'eux m'offre sa fille...
Effeuillant le faux-col de mon illusion !

– Naples ! panier percé des Seigneurs Lazzarones
Riches d'un doux ventre au soleil !
Polichinelles-Dieux, Rois pouilleux sur leurs trônes,
Clyso-pompant l'azur qui bâille leur sommeil !...

Ô Grands en rang d'oignons ! Plantes de pieds en lignes !
Vous dont la parure est un sac, un aviron !
Fils réchauffés du vieux Phœbus ! Et toujours dignes
Des chansons de Musset, du mépris de Byron !...

– Chœurs de Mazanielli, Torses de mandolines !
Vous dont le métier est d'être toujours dorés
De rayons et d'amour... et d'ouvrir les narines,
Poètes de plein air ! Ô frères adorés !

Dolce Farniente !... – Non ! c'est mon sac !... il nage
Parmi ces asticots, comme un chien crevé ;
Et ma malle est hantée aussi... comme un fromage !
Inerte, ô Galilée ! et... è pur si muove...

– Ne ruolze plus ça, toi, grand Astre stupide !
Tas de pâles voyous grouillant à se nourrir ;
Ce n'est plus le lézard, c'est la sangsue à vide...
– Dernier lazzarone à moi le bon Dormir !

Napoli – Dogana del porto.

Tristan Corbière.