Poésie : Bourgeois parlant de Jésus-Christ
Titre : Bourgeois parlant de Jésus-Christ
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
« – Sa morale a du bon. – Il est mort à trente ans.
– Il changeait en vin l'eau. – Ça s'est dit dans son temps.
– Il était de Judée. Il avait douze apôtres.
– Gens grossiers. – Gens de rien. – Jaloux les uns des autres.
– Il leur lavait les pieds. – C'est curieux, le puits
De la samaritaine, et puis le diable, et puis
L'histoire de l'aveugle et du paralytique !
– J'en doute. – Il n'aimait pas les gens tenant boutique.
– A-t-il vraiment tiré Lazare du tombeau ?
– C'était un sage. – Un fou. – Son système est fort beau.
– Vrai dans la théorie et faux dans la pratique.
– Son procès est réel. Judas est authentique.
L'honnête homme au gibet et le voleur absous !
– On voit bien clairement les prêtres là-dessous.
Tout change ; maintenant il a pour lui les prêtres.
– Un menuisier pour père, et des rois pour ancêtres,
C'est singulier ! – Non pas ! Une branche descend,
Puis remonte, mais c'est toujours le même sang ;
Cela n'est pas très rare en généalogie.
– Il savait qu'on voulait l'accuser de magie
Et que de son supplice on faisait les apprêts.
– Sa Madeleine était une fille. – A peu près.
– Ça ne l'empêche pas d'être sainte. – Au contraire.
– Était-il Dieu ? – Non. – Oui. – Peut-être. – On y croit guère.
– Tout ce qu'on dit de lui prouve un homme très doux.
– Il était beau. – Fort beau, l'air juif, pâle. – Un peu roux.
– Le certain, c'est qu'il a fait du bien sur la terre.
– Un grand bien. Il était bon, fraternel, austère ;
Il a montré que tout, excepté l'âme, est vain ;
Sans doute il n'est pas Dieu, mais certes il est divin.
Il fit l'homme nouveau meilleur que l'homme antique.
– Quel malheur qu'il se soit mêlé de politique ! »