Poésie : Cri perdu

Titre : Cri perdu

Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907)

Sonnet.


Quelqu'un m'est apparu très loin dans le passé :
C'était un ouvrier des hautes Pyramides,
Adolescent perdu dans ces foules timides
Qu'écrasait le granit pour Chéops entassé.

Or ses genoux tremblaient ; il pliait, harassé
Sous la pierre, surcroît au poids des cieux torrides ;
L'effort gonflait son front et le creusait de rides ;
Il cria tout à coup comme un arbre cassé.

Ce cri fit frémir l'air, ébranla l'éther sombre,
Monta, puis atteignit les étoiles sans nombre
Où l'astrologue lit les jeux tristes du sort ;

Il monte, il va, cherchant les dieux et la justice,
Et depuis trois mille ans sous l'énorme bâtisse,
Dans sa gloire, Chéops inaltérable dort.

René-François Sully Prudhomme.