Poésie : Distraction
Titre : Distraction
Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907)
Recueil : Les vaines tendresses (1875).
À mon insu, j'ai dit : « Ma chère »
Pour « Madame », et, parti du cœur,
Ce nom m'a fait d'une étrangère
Une sœur.
Quand la femme est tendre, pour elle
Le seul vrai gage de l'amour,
C'est la constance naturelle,
Non la cour ;
Ce n'est pas le mot qu'on hasarde,
Et qu'on sauve s'il s'est trompé,
C'est le mot simple, par mégarde
Échappé...
Ce n'est pas le mot qui soupire,
Mendiant drapé d'un linceul,
C'est ce qu'on dit comme on respire,
Pour soi seul.
Ce n'est pas non plus de se taire,
Taire est encor mentir un peu ;
C'est la parole involontaire,
Non l'aveu.
À mon insu j'ai dit : « Ma chère »
Pour « Madame », et, parti du cœur,
Ce nom m'a fait d'une étrangère
Une sœur.