Poésie : Enfantillage
Titre : Enfantillage
Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907)
Madame, vous étiez petite, 
J'avais douze ans ; 
Vous oubliez vos courtisans 
Bien vite !
Je ne voyais que vous au jeu 
Parmi les autres ; 
Mes doigts frôlaient parfois les vôtres 
Un peu...
Comme à la première visite 
Faite au rosier, 
Le papillon sans appuyer 
Palpite,
Et de feuille en feuille, hésitant, 
S'approche, et n'ose 
Monter droit au miel que la rose 
Lui tend,
Tremblant de ses premières fièvres, 
Mon cœur n'osait 
Voler droit, des doigts qu'il baisait, 
Aux lèvres.
Je sentais en moi, tour à tour, 
Plaisir et peine, 
Un mélange d'aise et de gêne : 
L'amour.
L'amour à douze ans ! Oui, madame, 
Et vous aussi, 
N'aviez-vous pas quelque souci 
De femme ?
Vous faisiez beaucoup d'embarras, 
Très occupée 
De votre robe, une poupée 
Au bras.
Si j'adorais, trop tôt poète, 
Vos petits pieds, 
Trop tôt belle, vous me courbiez 
La tête.
Nous menâmes si bien, un soir, 
Le badinage, 
Que nous nous mîmes en ménage, 
Pour voir.
Vous parliez de bijoux de noces, 
Moi du serment, 
Car nous étions différemment 
Précoces.
On fit la dînette, on dansa ; 
Vous prétendîtes 
Qu'il n'est noces proprement dites 
Sans ça.
Vous goûtiez la plaisanterie 
Tant que bientôt 
J'osai vous appeler tout haut : 
Chérie,
Et je vous ai (car je rêvais) 
Baisé la joue ; 
Depuis ce soir-là je ne joue 
Jamais.